Swans Commentary » swans.com 29 juin 2009  

 


 

 

Swans en français

 

Douce France, doux pays de mon enfance... (1)
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

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(Swans - 29 juin 2009)   Lorsque j'étais toute môme, à l'école primaire, j'aimais par-dessus tout les mardis après-midi, quand notre maître nous contait tout à la fois l'Histoire et l'Esprit de la France.

Le regard perdu sur les marronniers de la cour, je l'écoutais nous raconter les rois, la révolution, puis l'empire napoléonien. L'époque moderne nous serait assénée plus tard, sans grande subtilité, durant les années de collège et de lycée. Pour l'heure, nous découvrions l'histoire de ces mots gravés au frontispice des mairies, Liberté, Egalité, Fraternité. Nous apprenions comment les français avaient adopté la Déclaration des Droits de l'Homme, et nous croyions très fort que tous les hommes naissent libres et égaux en droit...sans distinction de race, de couleur, de langue, de religion...de fortune, de naissance. Quelle chance nous avions, pensions-nous, de vivre dans un pays qui avait intégré à sa constitution ce texte formidable hérité des Etats Unis d'Amérique.

Nous ne découvririons que plus tard, à l'adolescence, en lisant Orwell et en observant le monde, que certains sont plus égaux que d'autres, comme nous apprendrions ce terme, né bien après nous « minorité visible ».

Quand, en novembre dernier, M. Obama est devenu le 44ème président des USA, la France s'est levée, émue, pour saluer cette nouvelle conscience des américains et leurs progrès sur la voie de l'égalité et de la non-discrimination. Ha, les braves gens, qui enfin avaient bouclé la boucle, et qui près de 150 ans après l'abolition de l'esclavage concrétisaient enfin leurs humanismes en élisant un noir.

Ha, la bonne conscience des français, qui continuent à mépriser leurs nègres et à leur barrer la route de la recherche du bonheur. En France, les statistiques ethniques sont interdites (au motif qu'elles sont discriminatoires) et il est donc impossible d'établir avec exactitude l'ampleur de la discrimination dont sont victimes les minorités visibles (entendez, surtout, les noirs, les arabes et assimilés, bref, tous ceux qu'une peau un peu sombre empêche de se prétendre normands). Il n'en reste pas moins que sauf à réussir les concours de l'administration, les basanés en tout genre n'ont guère de chances de trouver un emploi qualifié, encore moins un emploi stable, et sont confinés dans les classes sociales les plus basses sans aucun espoir d'en sortir.

Dans les années 80, pourtant, les beurs (enfants d'immigrés d'Afrique du Nord nés en France) avaient fait entendre leur voix et réclamaient pour leur bénéfice propre Liberté, Egalité, Fraternité. C'est à ce moment-là qu'ils s'étaient approprié la chanson de Trenet, monument de frenchitude. Parce qu'eux aussi étaient français, nés en France, et soumis aux devoirs des citoyens. Or, si la minorité beur a su depuis continuer à réclamer sa place, sans grand succès d'ailleurs, les immigrés noirs d'Afrique restent cantonnés dans le silence, et continuent de subir, sans relais médiatique ou très peu, les effets du racisme.

Une demoiselle, noire, témoignait récemment à la télévision des brimades qu'elle subissait durant les entretiens d'embauche. Alors que tous les autres candidats -- blancs -- passaient les tests d'embauche confortablement installés dans une salle, il lui était arrivé d'être contrainte de passer les siens dans le couloir, sans table pour écrire. « Quand j'étais enfant » témoignait-elle, « mes parents m'ont toujours dit que je devais donner deux fois plus que les autres parce que je n'étais pas chez moi (elle était pourtant née en France). J'ai toujours travaillé plus que les autres élèves en classe, j'ai décroché mes diplômes, mais cela n'a servi à rien ».

Certes, nous avons progressé depuis les années 70, où les usines Renault avaient établi une classification raciale d'aptitude au travail des minorités importées d'Afrique ou d'Europe du Sud pour faire face à l'accroissement important de la demande de main d'œuvre dans l'industrie automobile. Dans le rapport publié par les contremaîtres de Renault, on préconisait l'embauche d'Espagnols et de Portugais sur les chaînes, ou à la rigueur d'Algériens, en arguant que les noirs d'Afrique étaient inaptes à l'effort et qu'il valait mieux les cantonner aux tâches les plus subalternes.

Dans certaines régions industrieuses, on a embauché à cette époque, et par paquets de mille des travailleurs d'Afrique du Nord qu'on logeait, même au cœur de l'hiver, dans des baraques de tôle ou de vieilles caravanes. Certains y vivent toujours.

Dans la sphère privilégiée des Hautes Administrations, on ne trouve à ce jour qu'un seul préfet noir, et la nomination par M. Sarkozy de deux ministres « issus de l'immigration » -- l'expression est d'une pudibonderie sans égale, n'a dupé personne.

Dans les écoles de la république, les enfants des Blacks-Beurs sont moins égaux que les autres. Quant à la prétendue égalité dont ils jouissent dans les textes...

Laissez-moi conclure sur ce fait divers tout frais du jour, pêché dans le journal Libération.

Avant hier, deux mômes de six et dix ans ont été arrêtés à la sortie de l'école par six agents de police. Oui, vous avez bien lu, six. On les a embarqués au commissariat où pendant deux heures et demie ils ont dû expliquer d'où ils tenaient leur superbe vélo. Ces deux mômes, vous l'aurez compris tout seuls, avaient les yeux noirs et le teint terre cuite. Le vélo, c'était le cadeau d'anniversaire de l'un de ces deux frangins. Mais dans l'esprit des représentants de l'ordre, ils ne pouvaient que l'avoir fauché. Le lendemain de leur mésaventure, les mômes n'ont pas voulu retourner à l'école, a expliqué leur mère, parce qu'ils avaient honte.

La honte, c'est que des fonctionnaires de police se mettent à six pour terroriser des gamins. La honte, c'est que ce genre d'incident se produit tous les jours. La honte, c'est qu'il se trouve trop peu de gens pour protester. La honte, c'est que la France que vantait mon instituteur de primaire, ce pays de libertés, cette terre d'asile qui a proclamé dans sa constitution le principe d'égalité et de non discrimination, continue, avec une bonne conscience jamais démentie, à supporter que ses lois soient bafouées, tant les préjugés sont fortement ancrés dans les consciences. On peut interdire autant qu'on veut les vieilles pubs de Banania, les statistiques ethniques, proclamer des principes et essayer de faire croire à tout un chacun à une politique du mérite, jamais autant qu'à l'ère Sarkozy la discrimination n'aura été si forte -- notamment dans les postes de polices. (3) Comment s'en étonner, quand le chef de l'Etat lui-même clame dans les cours des cités insurgées -- qu'on n'appelle pas ghettos entre gens bien nés -- qu'on va « nettoyer la racaille au karcher ».

 

Notes

1.  Charles Trenet, Douce France, 1963. Adapté par le collectif « les enfants du pays » à écouter ici.  (back)

2.  Banania est une fameuse marque française. Pour en savoir plus, visitez Wikipedia (en français ou en anglais) et le site officiel de la compagnie. Ce site offre une histoire (parmi tant d'autres) de Banania.  (back)

3.  Où l'on relève, toutes les semaines, des actes de discrimination et de violence, à l'égard des beurs, des noirs, des homosexuels, et j'en passe... Pour l'anecdote, quand je me rends dans un poste de police, on me vouvoie. Quand il y a quelques mois l'une de mes amies, d'origine algérienne, est allée porter plainte contre le chauffard qui avait renversé sa fille, les policiers non contents de la tutoyer, sont allés jusqu'à la menacer. Pourquoi ? Le chauffard était l'un des leurs. Il a fallu qu'elle révèle le statut de son père, ambassadeur, et l'intervention de son mari, français de souche, qui a lui menacé de porter plainte à la police des polices pour qu'on revienne au minimum de considération.  (back)

 

Texte de la chanson « Douce France » (en français et en anglais)

 

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Swans -- ISSN: 1554-4915
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Published June 29, 2009



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