Swans Commentary » swans.com 16 juillet 2012  

 


 

 

Swans en français

 

Propos interrompus
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

(Swans - 16 juillet 2012)   Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche.

Premier interlude :

Anne d'Autriche, épouse de Louis XIII, celle-là même qui glissa, à travers la fente d'une tapisserie, un diamant à notre d'Artagnan national pour le remercier d'avoir ramené d'Angleterre les ferrets qu'elle avait imprudemment donnés en gage d'amour au duc de Buckingham, était espagnole. Cette façon de désigner les protagonistes de l'histoire par leur titre plutôt que par leur nom est directement responsable des innombrables confusions du lecteur débutant, toujours étonné de retrouver, au cours de lectures erratiques, les mêmes personnages à des siècles d'écart. Bref, Anne d'Autriche, reine de France, en bonne espagnole, roupillait toute la journée et trahissait son époux, la France et le Cardinal en dégustant du chocolat tard dans la nuit -- noche, en espagnol. Ce qui nous ramène directement à notre propos initial.

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Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche, les chauves-souris

Deuxième interlude :

Les chauves-souris sont les seuls mammifères qui volent et qui s'écrivent avec un trait d'union. De même, il n'existe que deux espèces de mammifères qui pondent des œufs, l'ornithorynque et l'échidné, bien qu'il soit techniquement inexact de ranger ces demi-reptiles dans l'ordre des mammifères. Ils constituent en vérité l'ordre des monotrèmes. Auquel n'appartiennent pas les chauves-souris.

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Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche, les chauves-souris ombrent de noir le noir du soir

Troisième interlude :

« Ombrent de noir le noir du soir ». C'est du grand art littéraire. L'utilisation conjuguée de l'allitération (la répétition des consonnes) et de l'assonance (celle des voyelles) confère une douce poésie à n'importe quelle lapalissade.

Premier interlude au troisième interlude :

La lapalissade est également connue sous le nom de « truisme ». C'est, comme chacun le sait, l'énonciation d'une évidence, qui tire son nom du seigneur de la Palice, lequel n'a jamais proféré la moindre lapalissade, et qu'on continue en outre à portraiturer comme un dévoreur d'araignées rien que pour faire rire les dames. Les légendes ont la vie dure.

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Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche, les chauves-souris ombrent de noir le noir du soir, et à l'approche d'août, chacune s'inquiète : J'ai pas grossi ?

C'est que les magazines, voyant l'été revenu, et n'ayant rien de mieux à nous vendre entre deux pubs, nous abreuvent de recettes diététiques, de conseils minceur, peau de pêche.

Quatrième interlude :

La pêche était l'un des fruits favoris de Louis XIV, le fils d'Anne d'Autriche. Il en fit planter de pleins vergers à Versailles. Louis XIV aimait également beaucoup les épinards, qu'Aramis, le pote du d'Artagnan du premier interlude, rebaptise « tétragones » dans le chapitre 26 des Trois Mousquetaires. Or le tétragone est une variété d'épinards ramenée de Nouvelle Zélande par le Capitaine Cook à la fin du 18ème siècle, bien trop tard pour que nos mousquetaires puissent s'en délecter. Même les plus grands auteurs de romans historiques peuvent occasionnellement donner dans l'anachronisme.

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Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche, les chauves-souris ombrent de noir le noir du soir, et à l'approche d'août, chacune s'inquiète : J'ai pas grossi ?

C'est que les magazines, partout, continuent à nous abreuver de recettes diététiques, de conseils minceur, peau de pêche, fais de la gym et bois de l'eau tu seras belle, ma fieu.

Voilà tout le fantasme qu'on nous donne en pâture. Etre autre, sans imagination, pâle copie, caricature d'odalisque bronzée. Se rêver des perfections physiques. Comme si. Comme si ça pouvait faire du bien aux rondouillardes, aux laides, aux anguleuses, aux plates de la fesse ou du sein... On nous vend des images, auxquelles on n'échappe pas simplement en ne les achetant pas.

Combien d'entre vous, mes filles, mes sœurs, feuillettent ces torchons dans les salles d'attente du médecin, du dentiste, du psychologue, faisant un détour par le supermarché sur le chemin de la maison pour acheter des brocolis.

Cinquième interlude :

Les brocolis furent introduits en France par Catherine de Médicis, qui n'avait aucun lien de parenté direct avec Louis XIV. Elle était l'épouse d'Henri II.

Premier interlude au cinquième interlude :

Henri II était le fils de François 1er. Tout petit, il avait été échangé contre son père capturé par le roi d'Espagne à la bataille de Pavie, et son séjour dans les geôles de Charles Quint lui avait assombri le caractère. L'histoire a gardé la mémoire de sa liaison avec Diane de Poitiers, son aînée de vingt ans qui prenait un bain froid tous les jours, et de sa mort imbécile, lorsqu'ayant oublié de fixer la visière de son casque, il eut l'œil transpercé par une lance au cours d'un tournoi. Ambroise Paré, son médecin, dans l'espoir de le sauver, fit exécuter en urgence quelques condamnés à mort afin de reproduire sur eux la blessure de son roi, avant de conclure au cinquième essai : c'est foutu.

Retour au cinquième interlude :

Les brocolis furent introduits en France par Catherine de Médicis, qui n'avait aucun lien de parenté direct avec Louis XIV. Elle était l'épouse d'Henri II, qui disait d'elle qu'elle « puait la mort ». Opinion largement partagée par les victimes de la Saint Barthélémy, qui justement tombe le 24 août, en plein milieu de la période de préoccupations esthétiques qui nous pousse au régime.

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Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche, les chauves-souris ombrent de noir le noir du soir, et à l'approche d'août, chacune s'inquiète : J'ai pas grossi ?

C'est que les magazines, partout, continuent à nous abreuver de recettes diététiques, de conseils minceur, peau de pêche, fais de la gym et bois de l'eau tu seras belle, ma fieu.

Voilà tout le fantasme qu'on nous donne en pâture. Etre autre, sans imagination, pâle copie, caricature d'odalisque bronzée. Se rêver des perfections physiques. Comme si. Comme si ça pouvait faire du bien aux rondouillardes, aux laides, aux anguleuses, aux plates de la fesse ou du sein... On nous vend des images, auxquelles on n'échappe pas simplement en ne les achetant pas.

Combien d'entre vous, mes filles, mes sœurs, feuillettent ces torchons dans les salles d'attente du médecin, du dentiste, du psychologue, faisant un détour par le supermarché sur le chemin de la maison pour acheter des brocolis à brouter pour le soir parce que vous venez de lire qu'ils font partie des fameux aliments à calories négatives ?

Sixième interlude :

La digestion des « aliments à calories négatives » nécessiterait -- selon certains diététiciens à la mode -- une dépense d'énergie supérieure à l'apport calorique desdits aliments. En en mangeant assez, on peut espérer retrouver son poids de naissance.

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Le soleil brille, les piafs vocalisent dès cinq heures du matin, les après-midi étouffantes s'éternisent en noches dignes d'une Anne d'Autriche, les chauves-souris ombrent de noir le noir du soir, et à l'approche d'août, chacune s'inquiète : J'ai pas grossi ?

C'est que les magazines, partout, continuent à nous abreuver de recettes diététiques, de conseils minceur, peau de pêche, fais de la gym et bois de l'eau tu seras belle, ma fieu.

Voilà tout le fantasme qu'on nous donne en pâture. Etre autre, sans imagination, pâle copie, caricature d'odalisque bronzée. Se rêver des perfections physiques. Comme si. Comme si ça pouvait faire du bien aux rondouillardes, aux laides, aux anguleuses, aux plates de la fesse ou du sein... On nous vend des images, auxquelles on n'échappe pas simplement en ne les achetant pas.

Combien d'entre vous, mes filles, mes sœurs, feuillettent ces torchons dans les salles d'attente du médecin, du dentiste, du psychologue, faisant un détour par le supermarché sur le chemin de la maison pour acheter des brocolis à brouter pour le soir parce que vous venez de lire qu'ils faisaient partie des fameux aliments à calories négatives ?

Allons, je comprends qu'on veuille rêver, mais qu'au moins on se rêve au-dessus de cette moyenne-là !

Pose tes rondeurs, ma sœur, dans le creux d'un hamac, et rêve des héroïnes à ta hauteur de femme, des Nana à la cuisse grasse, des Tess d'Urberville à la morale rigide, des élans d'une Emma, des vacheries d'une Merteuil ; rêve-toi Esméralda, Scarlett, Manon, et si tu préfères les femmes de chair à celles de papier, pars à la découverte de Liane de Pougy, d'Emilie du Châtelet, de Julie de Lespinasse, Aliénor d'Aquitaine ou Calamity Jane, de Lady Lovelace, Mary Anning, Hélène Boucher ou Agrippine... d'une femme, enfin, qui soit un peu de toi par ses aspirations, ses talents, ses faiblesses, qui soit de même chair, divine et périssable, pas de papier glacé.

 

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Swans -- ISSN: 1554-4915
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Published July 16, 2012



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