Swans Commentary » swans.com 5 décembre 2011  

 


 

 

Swans en français

 

Publies et sois maudit
 

 

Richard Beard
(Traduit par Marie Rennard)

 

 

 

 

L'article en anglais se trouve à cette adresse :
http://www.newwriting.net/feature/publish-be-damned/ -- Cette traduction et sa publication sont autorisées par l'auteur.

 

(Swans - 5 décembre 2011)   Écrire un roman est affaire peu rentable. Des monceaux d'idées écartées sitôt explorées, de papier envoyé au recyclage, d'énergie et de temps gaspillés en explorations infructueuses (celle de l'histoire de l'Arménie, par exemple). Une façon de travailler parfaitement opposée à celle de l'industrie du biscuit.

Pourtant, une fois un livre terminé, commence enfin un processus bien plus rationalisé que celui de l'écriture. L'écrivain n'est plus seulement écrivain, mais également partie prenante d'une opération de marketing.

Cela bien sûr ne signe pas la fin du plaisir, mais celui de la publication est d'une nature différente de celui de l'écriture.

Mon dernier roman, Lazare est Mort, est sorti le 18 août 2011. Pour une sortie en fin d'été, le stress commence aux environs de Noël. Au moment de réviser ma copie, avant publication, il faut encore que je décide si dieu sera « il » ou « Il » (ou Dieu), et autres détails du même acabit. Ces micro arrangements ¨C ne vous y trompez pas, ils sont importants ¨C sont d'autant plus perturbants qu'ils peuvent faire la différence entre succès et échec.

Mes sept premiers livres ont été des demi-échecs (ou des succès limités?). Quand des amis récents découvrent que j'écris des livres, ils sont toujours légèrement déçus, comme si le fait de ne pas être l'auteur de best-sellers était une manière de les négliger. Je comprends leur affliction ; elle est loin d'égaler la mienne. J'espère toujours faire mieux la fois suivante. et depuis la publication de mon premier roman en 1996, j'ai appris à écrire sans crainte. Je n'ai hélas pas appris, en revanche, à écrire sans espoir ¨C de là mes angoisses d'auteur.

La publication n'est pas l'écriture, de même que la crise de confiance d'un auteur n'est pas une crise. C'est un état, que la publication porte à un paroxysme. Le premier coup est porté aux alentours de juin, quand on voit le livre pour la première fois. Voilà mon livre, mon livre adoré, mon Précieux, mais pourtant... Il arrive par le service régulier de la poste, et ce n'est qu'un livre. Il était bien plus puissant à l'état d'abstraction, d'idéal artistique. Le fantasme d'une vie nouvelle. Le livre reçu n'est qu'un livre : couverture ornée d'une jaquette enfermant quelques centaines de pages. Un livre comme n'importe quel autre.

Encore que, si l'on veut regarder les choses du bon côté, c'est une édition en couverture rigide.

Quand les éditeurs veulent faire accepter à un écrivain une publication avec une couverture souple, ils expliquent que cela ne fait aucune différence en termes de critiques et de ventes. Pour moi, la différence est certaine. Les écrivains majeurs sont publiés en couverture rigide, c'est donc ce que je veux pour moi, même si, à la différence de la ponctuation et de l'organisation des chapitres, c'est l'une des nombreuses décisions dont je suis exclu.

Mon travail n'est pas pour autant terminé. Je dois offrir à mes éditeurs toute l'aide possible, car les enjeux sont démesurément élevés. Un roman sans succès n'est pas seulement un désastre en termes de temps et d'effort consacrés à son écriture. C'est aussi du temps perdu après la publication, des rêves de gloire anéantis. Un chagrin double, qui englobe les jours passés et ceux à venir.

Place à l'industrie, donc. Il faut que je me prépare au lancement. En 1996, après que j'aie bouclé mon premier roman, X20, alors que j'étais étudiant à l'UEA [University of East Anglia] mon éditeur Harper Collins avait organisé une réception au Club Two Brydges à Londres (tellement fameux qu'il n'a toujours pas, à ce jour, de site web). Le romancier américain Harry Mathews était présent, ainsi que David Bellos, biographe de Perec, et pour faire bonne mesure, le Diable en personne, sous les traits de Grace Jones, une grande femme court vêtue aux cheveux hérissés rouge vif. Elle buvait un verre au bar à mon arrivée, s'était levée pour m'embrasser avec effusion avant de quitter les lieux pour n'y plus reparaître. Chacun voulait savoir qui elle était, ce dont, à l'époque, je n'avais aucune idée. Je présumai alors que ce serait là le schéma régulier de ma vie d'écrivain : l'aventure quotidienne en pantalon de velours côtelé.

J'avais raison et tort à la fois.

Il y a peu de lancements de livres en 2011. Leur extinction a été rapide. Autrefois, les éditeurs mettaient la main à la poche. Ils finançaient les boissons et les invitations si l'auteur trouvait un endroit où organiser la réception. Aujourd'hui, les éditeurs feront une apparition en apportant avec eux quelques livres si l'auteur fournit aussi les boissons, les invitations, et si possible une animation pour les enfants.

J'avais envisagé un lancement à Lambeth Palace, résidence officielle à Londres de l'Archevêque de Cantorbéry, mais sans succès. La raison pour laquelle les éditeurs ont abandonné les réceptions pour les lancements de leurs nouveaux livres est que les journalistes littéraires (ce qu'il en reste) ne se déplacent plus que pour les grands noms de la littérature. Sans publicité, la valeur commerciale d'un lancement est quasi nulle.

Bien sûr, elle garde une valeur personnelle, l'opportunité de réunir un gang d'amis pour fêter un événement important. Mais à ce stade, je suis au delà de l'intérêt personnel, prêt à vendre mes biscuits.

Il faut sélectionner une date porte bonheur, exposer le livre. La publicité qui ne sera pas faite à ce moment-là devra venir d'ailleurs. Pour la première fois, en 2011, j'ai eu recours à Twitter pour faire ma promo, ainsi qu'à d'autres nouveautés. Amazon envoie des alertes mails à tous les lecteurs ayant un jour acheté l'un de mes livre. Je tiens l'info de ma mère, qui a trouvé ça épatant.

Si le recours à Twitter, Facebook et aux blogs d'écrivains peut paraître désespéré, c'est qu'il l'est indubitablement. Personne ne parle jamais de la gêne d'avoir écrit un livre sans succès. Qui est-on, ou qui a-t-on été, pour écrire et présumer que le succès pourrait être au rendez-vous ?

Si quelques fanfaronnades sur Twitter peuvent faire la différence, on peut supporter quelques grincements de dents.

Il est néanmoins utile, comme dans une vente aux enchères, d'avoir à l'avance une idée décente du résultat. Qu'est-ce qui peut être considéré comme un retour fructueux ? L'ambition, à ce stade, est pour moi pragmatique. J'ai besoin de bonnes critiques ou d'un prix pour gagner une ou deux années de grâce, d'invitations aux festivals littéraires, afin d'augmenter mes chances de décrocher un nouveau contrat. J'ai besoin, tout simplement, d'un peu d'éloges pour continuer à écrire, à me considérer comme un écrivain. Peu de chose, en somme, si toutefois je suis bien écrivain. Dans le cas contraire, il ne manque pas de monde pour opiner ici et là.

« On touche le fond » affirme dans sa critique un lecteur sur le site d'Amazon. Le même qui vient également de donner son avis sur le dernier modèle de fer à repasser Philips « Le must du must ».

Qu'attends-je exactement de mes lecteurs ?

Je me souviens d'une émission de Radio 4, Loose Ends, animée par Ned Sherrin, à laquelle participaient l'écrivain américain Garrison Keillor et Stephen Fry, lequel essayait de se faire mousser en moquant l'ennui des séances de dédicace. Keillor l'avait coupé « Je me lève et j'embrasse chacun de mes lecteurs ». Fry en avait eu la chique coupée, et profitant du silence, Keillor avait expliqué que les écrivains ne s'estimaient satisfaits qu'après qu'on leur eût dit « Lêve-toi, ô Soleil, que nous suivions tes pas ».

Si l'on ne peut susciter l'absolue dévotion, alors mieux vaut n'entendre que le silence. Les critiques littéraires dans les journaux sont le premier objectif, puis les prix, ou peut-être l'inverse. Peu importe, encore que les uns impliquent toujours les autres.

Pour ce qui est des prix, toutefois, le premier défi est d'arriver à placer mon roman parmi la sélection.

Les éditeurs ne mettent en avant qu'un nombre limité de livres pour chaque prix. Cette année, j'ai rencontré une écrivain dont le contrat comportait une clause obligeant son éditeur à la présenter aux prix. Tant mieux pour elle, mais combien de romanciers insistent pour obtenir ces clauses ? Quelques-uns des prix les plus importants sont fermés avant même d'être ouverts.

Qu'en est-il alors des critiques ? Depuis 1996, la place qui leur est consacrée dans les journaux s'est considérablement réduite. Elles sont non seulement plus rares, mais aussi plus courtes. Ce qui ne les rend pas moins émotionellement éprouvantes à lire.

Le secret, avec les critiques, c'est de les lire entièrement, ou pas du tout. Il faut suivre le critique dans ce qu'il essaie de dire, même si le tarif qu'on les paie pour écrire 150 mots ne les incite pas à lire vraiment les livres qu'ils commentent. Décortiquez-les attentivement, car pour chaque « impressionnant » (Financial Times) vous trouverez un « plat » (Observer). Je peux être d'accord, ou pas, mais jamais indifférent.

Dans les festivals littéraires, quel que soit l'avis des critiques, je parle de Lazare est Mort comme si il répondait exactement à ce que j'espérais en faire. Quand j'évoque mon livre dans le cadre de la promotion, je suis coincé entre demi-mensonges et fausses certitudes. Pourquoi avez vous écrit ce livre ? êtes vous chrétien ? Lazare a-t-il vraiment existé ? Je ne sais pas, mais j'invente des réponses pour remplir mon contrat. Je parle sous des chapiteaux dépourvus de chaises, pour un public aussi clairsemé que la pelouse humide. Faire la promo d'un livre sans public relève de préoccupations existentielles.

Pour un temps, c'est vrai, je perds toute perspective. Des revers qui sont pour moi une injustice cruelle sont pour d'autres, parmi lesquels mon agent et mes éditeurs, la façon dont va le monde. Les aléas du travail.

Quand l'intérêt pour le livre s'émousse, inéluctablement, on se sent mis à l'écart. Inutile, sans autre chose à faire que traîner sur les banc des parcs publics. Heureusement, c'est là que la vie de l'écrivain peut enfin reprendre son fil ¨C celui de l'écriture. Rien n'est plus évident que la nécessité d'écrire un autre livre, avec l'espoir qu'il sera le prochain best-sellers surprise.

Le business de la publication peut donner aux auteurs l'impression fausse qu'écrire n'est pas le seul travail des écrivains. Comme si passer à la radio était effectivement écrire. Quand je me sens par trop embringué par l'industrie, je me remémore cette phrase de Naomi Klein « quand la connaissance des marques est le but ultime de chacun, la répétition et la visibilité sont les seules véritables mesures du succès ».

Si la visibilité devient la mesure du succès des écrivains, c'est que quelque chose ne tourne pas rond. Piégés dans l'industrie du biscuit, l'écrivain, si ce n'est même l'écriture, deviennent eux-mêmes biscuit.

Une chose est sûre. Écrire, faire vivre le texte, voilà tout. Rien d'autre ne peut être maîtrisé ¨C le marketing, la pub, les ventes ¨C qu'importe. Rien d'autre n'est important.

 

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L'auteur

Richard Beard, romancier anglais, est l'auteur de cinq romans, et directeur de la "National Academy of Writing" à Londres. Son site Web se trouve à http://www.richardbeard.info/ -- Marie Rennard sur Swans. Marie est l'éditrice en chef du coin français.   (back)

 

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Swans -- ISSN: 1554-4915
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Published December 5, 2011



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