Swans Commentary » swans.com 28 Mars 2011  

 


 

 

Swans en français

 

Intelligence
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

(Swans - 28 Mars 2011)   Les psychologues disposent de tests destinés à mesurer l'intelligence des quidams curieux de savoir où ils se situent exactement entre le chimpanzé et le génie. Le plus usité de ces tests, le WISC, qui existe en version moutard, ado et adulte se divise en deux échelles, l'une verbale, l'autre de performance. L'échelle verbale mesure la capacité du sujet à apprendre, l'échelle de performance note ses compétences propres, sa faculté à se tirer par lui-même des problèmes qu'on lui propose de résoudre. Selon les résultats obtenus aux deux échelles, et après savante pondération, on peut donner, à condition que l'écart entre les deux échelles ne soit pas supérieur à une dizaine de points, un chiffre de QI raisonnablement fiable qui situe le sujet testé entre le niveau plancher du grand singe - aux alentours de 60 - et le plafond des génies qui excèdent le chiffre ahurissant de 145. La moyenne, qui regroupe une majorité d'employés de bureau, se situe quant à elle un peu en dessous de 100.

Un certain nombre d'éléments issus d'observations précises, ou de la lecture de relations d'observations précises, ainsi que l'amour de la vérité, nous forcent cependant aujourd'hui à porter témoignage de la partialité de ces tests qui n'examinent l'intelligence que sous un angle ponctuel et théorique.

La capacité d'un sujet à surmonter l'adversité quotidienne nous semble plus à même de refléter fidèlement son niveau de performance que sa seule aptitude à élaborer de brillantes, certes, mais absconses théories pour résoudre d'hypothétiques problèmes.

Si les estimations des psychologues devaient s'avérer, alors l'individu capable de se représenter en trois dimensions la théorie de la relativité générale devrait à fortiori se montrer - dans une tâche pratique - considérablement supérieur au chimpanzé vulgaire ou à l'employé de bureau dans la résolution de problèmes de base, comme la neutralisation d'une fuite d'eau ou l'escalade du mât de cocagne au sommet duquel trônent les bananes qu'il veut cuire en beignets pour le dessert du soir.

Les grands singes, le génie et l'employé de bureau ont ceci en commun que la nature les a dotés de l'aptitude à user intelligemment d'outils sommaires pour assurer leur survie dans leurs environnements respectifs qui ne manquent pas de creuser sous leurs pas de sournoises chausse-trappes. Deux variables seulement interviennent. Le nombre de mains, de un à cinq - selon qu'on envisage l'amputation ou le tératisme, et la densité de la matière grise.

Or donc, revenons à la position de l'observateur, pour déterminer dans quelle mesure les représentants de nos trois catégories mobilisent leurs respectives facultés dans la vie quotidienne.

Considérons, dans un premier temps, la classe intermédiaire de l'employé de bureau. Dès le premier contact avec l'environnement hostile de son lieu de travail, celui-ci utilise son intelligence bien plus que ses membres antérieurs, et développe des stratégies très supérieures à celles dont un psychologue pourrait l'estimer capable pour faire face à l'adversité. L'observation de ses us et mœurs dévoilera sa formidable aptitude à user de ruse et de dissimulation pour se soustraire aux tâches qui lui rebutent le plus, qu'il s'agisse de nettoyer la machine à café ou de changer la cartouche d'encre du fax. Qu'il soit, une fois, contraint d'exécuter ces tâches, il s'en tirera aussi raisonnablement que le suggère le chiffre affiché de son QI.

Considérons maintenant le chimpanzé qui constitue, nous l'avons vu dans l'introduction, la catégorie la moins intelligente de nos groupes témoins. Des études poussées ont démontré que celui-ci se tire avec la plus grande ingéniosité des tests pratiques des psychologues, choisissant et usant avec discernement des outils dont il dispose, capable de créativité et d'improvisation, voire de la même dose d'habileté que l'employé de bureau dans l'usage de la duplicité et du mensonge à des fins de sauvegarde. (1) Sa capacité, pourtant, à appréhender la théorie de la relativité, même restreinte, est sensiblement équivalente à celle de l'employé de bureau. On a même pu remarquer que les deux catégories éprouvaient la même propension à se laisser aller, durant l'énoncé de ces thèses ardues, à des manifestations d'ennui, bâillements, soupirs, voire curetage nasal.

L'esprit supérieur, lui, se distingue par une remarquable facilité d'abstraction - il en est paraît il pour concevoir clairement l'idée d'univers décimaux, dès qu'ils cessent de se livrer à des expériences que la morale réprouve en enfermant des chats dans des boites potentiellement dangereuses - alliée, le plus souvent à un déficit cruel des mécanismes de pensée simple découlant de l'observation raisonnée de l'environnement.

L'observation suivante, faite in vivo sur un sujet doté d'un quotient intellectuel frôlant les quatre chiffres, suivant l'estimation des psychologues, illustrera avantageusement une affirmation qui pourrait autrement paraître péremptoire. Ledit brillant esprit, qui nous touche de près, nous enjoignit récemment, lors de ses ablutions hebdomadaires, de lui apporter dans sa baignoire un marteau et un tournevis à des fins, prétendit-il, de savonnage en règle. Interloquée, mais serviable, nous fournîmes les instruments demandés, dont il usa avec autant d'à propos qu'on en pouvait attendre d'un chimpanzé, pour décoller du porte savon la savonnette qui, en fondant, s'y était solidement arrimée, détournant le tournevis de son usage premier pour s'en servir comme d'un burin.

Aucun observateur impartial, psychologue ou primatologue, (2) n'intervient jamais dans le rapport du sujet à la pensée. Nous nous abstînmes donc de tout commentaire sur les moyens qu'eussent mis en œuvre un chimpanzé ou un employé de bureau - la théorie de la solubilité du savon dans l'eau n'ayant de toute façon jamais fait, à notre connaissance, l'objet de thèses circonstanciées, et nous en allâmes ranger les outils en songeant que l'intelligence est une étrange chose, pas si aisée à quantifier.

Enfin, nous ne saurions trop conseiller à chacun de se soumettre à ces tests, pour peu qu'on soit doté d'un ego et d'une confiance inaltérables. C'est qu'ils sont vaches, les tests de performance. J'ai fait 37, du coup, j'en ai abandonné le pluriel d'importance, pourtant, c'est toujours moi qui répare les robinets.

 

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L'auteur

Marie Rennard sur Swans. Marie est l'éditrice en chef du coin français.   (back)

 

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Notes

1.  L'anecdote mériterait mieux qu'une note de bas de page, mais c'est le triste lot des anecdotes. Or donc, un jeune singe, dans une horde, affichait des prétentions coïtales sur la personne de l'une des favorites du chef.

Le chef, hélas, veillait au grain. L'amoureux, à force de patience, profita d'une absence passagère du grand mâle pour inviter la demoiselle à quelques galipettes auxquelles elle se prêta complaisamment. Le vaudeville, partout présent dans la nature, arrangea un retour prématuré du chef. La jeune femelle, s'arrachant à l'étreinte de son amant, courut se réfugier dans les bras de son maître, lui expliquant par gestes et mimiques que le jeune soudard l'avait forcée, ben tiens. On pourra lire ce récit, et bien d'autres, dans « Destin de singes », dont hélas je ne peux vous fournir les références là tout de suite, ma bibliothèque étant en dérangement.  (back)

2.  Pour enrayer la violence des supporters de football, des psychologues avaient été priés de mettre leurs talents au décodage, par le visionnement de cassettes vidéos, des comportements des hooligans. Les psychologues avouant n'y rien comprendre, des primatologues s'attelèrent à la tâche, et parvinrent à repérer les signes précurseurs de baston très en amont de l'acte lui-même. J'ai dû lire ça dans les « insolites » de Courrier International, y'a déjà un bout de temps.  (back)

 

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Swans -- ISSN: 1554-4915
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Published March 28, 2011



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