Swans Commentary » swans.com 19 avril 2010  

 


 

 

Swans en français

 

Reliques
 

 

Marie Rennard

 

 

 

 

(Swans - 19 avril 2010)   De la simple boucle de cheveux de l'être aimé aux dix crânes de Sainte Ursule, en passant par le tricorne de Napoléon, le voile de la vierge ou le Saint Suaire, la liste est longue des reliques, primaires ou secondaires, religieuses ou séculaires, conservées dans des églises, des musées ou des collections particulières.

La fascination de l'humain pour les restes des Saints, ou des grands hommes de l'Histoire est aussi vieille que l'Histoire elle-même.

De tous temps, les hommes ont vénéré les reliques, espérant par leur intercession acquérir un bienfait, qu'il soit direct -- fertilité, la guérison ou vertu, ou indirect, le Saint prié consentant alors à envoyer le mildiou sur la vigne du voisin ou le feu à sa grange.

Dans toutes les grandes religions, du Judaïsme au Catholicisme, en passant par l'Islam, les églises ont encouragé la vénération des restes des Saints. Cette pratique pourrait -- un peu hâtivement, être considérée comme obsolète, et passer pour la croyance de siècles révolus. Il n'en est rien, et l'on pouvait encore lire, dans un numéro du magazine de l'Action Familiale pour l'Evangélisation et l'Apostolat de l'Enfance daté de 2004, sous la plume du père Joseph Chroné, que « Les petits, les pauvres, les humbles, "ceux à qui le Seigneur révèle les secrets du Royaume", ont une grande vénération pour les reliques. Les autres n'en ont pas besoin. Trop pleins d'eux-mêmes, ils ricanent souvent devant la piété des simples. Qu'importe ! N'est-ce pas eux à qui le Royaume dont les saints apportent un témoignage si constant et si vivant est promis ? Oui. La vénération des reliques nous invite à une confiance toujours plus grande, à une plus grande humilité et à un amour plus grand ». Et si l'on peut douter du bénéfice spirituel des reliques, force est de constater que le bénéfice temporel, lui, ne se dément pas.

Quand, en 1242, Louis IX fit construire la Sainte Chapelle pour y abriter les reliques de la Passion du Christ [La couronne d'épine, un fragment de la vraie croix, l'éponge et la lance de la Passion, des reliques de la vierge et le mandylion, aujourd'hui conservées à Notre Dame.] qu'il avait achetées à Baudouin de Constantinople, le bâtiment -- somptueux -- coûta moins cher que les Saints Restes. Dans les monastères, les ossements des Saints étaient (et sont encore) une source de revenus confortables, tant du fait des offrandes des pèlerins que d'une exploitation rationnelle de cette première forme de tourisme. Il n'était pas rare d'ailleurs que les moines d'un monastère désargenté aillent dérober les reliques des monastères voisins pour les exposer dans leur propre chapelle. Durant le XIIème et le XIIIème siècle, le trafic des os prit une ampleur difficilement concevable de nos jours, et les contrefaçons de toutes sortes étaient monnaie courante. Les reliques ayant la réputation d'être inaltérables au feu, les contrefacteurs de l'époque avaient même imaginé d'en tailler de fausses dans de l'amiante... A tel point que Jean Calvin, dans son Traité des reliques écrivit que « L'on ne saurait adorer les os d'un martyr qu'on ne soit en danger d'adorer les os de quelque brigand ou larron, ou bien d'un âne, d'un chien ou d'un cheval ».

Qu'importe, le tout est de croire, et il ne manque pas de témoignages d'ancien poivrots guéris par l'intercession de Matt Talbot à Dublin, ou de brehaignes enfin pourvues d'enfants après être allées prier les os de Sainte Opportune à Notre Dame d'Argentan.

Mais la fascination du croyant ne s'arrête pas aux restes saints. Les collectionneurs de reliques séculaires ne sont pas rares. Vivant Denon, au 19ème siècle, possédait, dit-on, des fragments d'os d'Héloïse et d'Abélard, du Cid et de Chimène, de Molière, de La Fontaine, et même une dent de Voltaire et un fragment de la barbe d'Henri IV. L'université de Padoue conserve les vertèbres de Galilée, l'Académie Française est réputée posséder la mâchoire de Voltaire (dont on peut admirer le crâne entier dans différents musées), et l'on a de bonnes raisons de penser qu'il manque un certain nombres d'os aux squelettes du Panthéon, volés et vendus à des amateurs de memorabilia.

C'est, sans doute, l'aspiration de l'homme à vivre mieux qui a de tout temps conduit ceux qui se sentent impuissants à acquérir seuls les vertus auxquelles ils aspirent qui a conduit l'humanité à conserver pieusement les restes des hommes qu'elle s'érige en modèle. Et les esprits forts, tels Calvin ou Collin de Plancy [Dictionnaire critique des reliques. 1822.], auront beau écrire que les reliques ne sont rien d'autre que de vieux os, et que « le peuple est superstitieux » [Voltaire, Dictionnaire Philosophique.], la femme battue verra plus sûrement son salut dans l'intercession de Saint Raboni, qui passe pour rendre meilleurs les maris méchants, ou les faire mourir dans l'année -- que dans la logique de Calvin ou de Voltaire, qui malgré tout leur clairvoyant discernement n'ont jamais pu en faire autant.

Nous conseillons cependant aux amateurs de vieux os la visite des catacombes de Paris, où sont rassemblés et mis en scène les squelettes du cimetière des Saints Innocents.

 

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Published April 19, 2010



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